Au mauvais endroit… Au mauvais moment…

Santa Barbara, récemment. Colombine, Virginia Tech, Newton, Denver, Washington… Combien de victimes faudra-t-il encore dénombrer dans cet état qui se veut être le plus puissant du monde et qui pourtant accepte en toute impunité que chacun soit armé comme dans un mauvais western ? Tant de victimes innocentes, tant de familles dans la détresse par un fait de hasard. La malchance d’avoir croisé sur un trottoir le chemin d’un fou armé jusqu’aux dents, le mauvais jour. Pour eux, leurs familles et le deuil impossible de l’incompréhension muée à la colère, je dédie ces quelques lignes…

Un cri. Sauvage et déchirant. Un cri. Il n’est plus qu’un cri. Depuis ce jour-là, il n’y avait plus rien. Aucune âme. Aucune peur. Il avait tout perdu. Là en pleine rue, sous le regard de gens qui n’y pouvaient rien. Tout perdu. Partie en un clin d’œil, en une détonation. « Au mauvais endroit, au mauvais moment » lui avait-on dit. « Monsieur, nous sommes désolés, on fera tout pour le retrouver ». Non. Jamais. Pendant que lui continuera sa vie de taré, elle restera six pieds sous terre. Un cri. Encore un. Et avec lui toute la rage de celui qui ne pardonnera pas. « Ni au Bon Dieu, ni à cette chienne de vie » psalmodiait-t-il depuis Ça.

Vivre après. Non. Essayer de trouver le bon chemin, celui qu’elle aurait voulu, celui qu’elle lui avait donné. Pas sans elle. En partant ce jour-là, elle avait pris tout de lui. Ses sourires, ses éclats, sa morale, ses souvenirs… Depuis, il avait toujours fui les miroirs. Peur de reconnaître en lui celui qu’il était avant sa mort, leurs morts. Peur aussi de la voir lui rappeler qu’il pourrait peut-être faire ce qu’elle n’aurait jamais voulu.

Il l’entend partout, chaque pas dans leur maison l’enivre de l’odeur de sa peau, ce goût épicé qu’il goûtait avec délectation à chacun de leurs baisers. Il ne pourrait pas rester là. Elle habite de sa présence les moindres coins, le ramène perpétuellement à tout ce qu’il était devenu, par amour pour elle, par son regard qui le rendait chaque jour meilleur. Chaque jour qu’il passe ici le fait sombrer un peu plus dans la folie. Il fallait prendre une décision : partir ou rester.

Crever de son absence. Ou le descendre. Lui. Ce cinglé, qui pourrait le pleurer ? Et si on le pleurait lui aussi ? « Ayez confiance la Justice fera son travail ». Peut-être. Non. Non il courra encore longtemps, il en tuera d’autres, « au mauvais endroit, au mauvais moment ». Ses yeux brillent d’une lueur inquiétante, il n’y aurait désormais plus que ça qui compte à tout jamais. Vengeance ? Justice ? Difficile de ne pas se résoudre à la loi du sang. Pourtant il voulait et savait se battre autrement. Mieux. Avec ses armes à lui. Ses mots. Plus jamais ça. Trouvera-t-il la force ?

Il avait tout perdu. Sans âme, sans peur, il ne serait plus qu’un cri. Un cri de douleur dans l’immensité du néant. Un cri de douleur pour dénoncer des armes libres et des assassins potentiels par milliers. Changer. Changer tout. Vite.

Mélanie Sorbets, www.laplumeetlagomme.fr