« Maman c’est quoi la guerre, pourquoi il y a plein de noms sur une pierre devant l’école ? » dit Éléa, ma fille, du haut de ses 4 ans et demi. Comment aurais-je pu lui dire ? Comment pouvais-je lui expliquer que dans ce monde où elle n’a toujours trouvé qu’amour, tranquillité et sécurité, il fut un temps pas si lointain où tout était orage… Que dans d’autres pays encore aujourd’hui les enfants se cachent, les parents luttent et les morts s’enchaînent pour des causes qu’ils ne connaissent même plus ? Je n’ai pas pu. Pourtant je sais qu’il faudra un jour lui en parler, parce que je sais par-dessus tout que celui qui oublie le passé ne détient plus les clés de l’avenir.
Le devoir de mémoire
J’ai beau être une fervente partisane de cette lutte contre l’oubli, je dois bien avouer que j’ai été choquée d’entendre que l’on pouvait évoquer la guerre à de si jeunes enfants, rappelons- le en classe de moyenne section de maternelle. Un peu comme si l’on voulait rattraper toutes ces années où parler de la guerre était tabou, trop attendu, trop répété…Et pourtant !
Une fois que tous les contemporains ayant vécu ces guerres là auront disparus, qui viendra les évoquer encore, qui viendra les rendre réelles, qui viendra les sortir de nos livres d’histoire ? Quoi de plus vrai que les récits de nos grands-parents, jeunes ou moins jeunes pour nous raconter tout cela ? Nos écrits, nos films, nos musées, leurs photos et leurs souvenirs, répétés, transmis de génération en génération pour surtout ne jamais oublier, ne jamais recommencer.
Alors petit à petit je raconterai à ma fille ces histoires-là. Celle de ma grand-mère par exemple, rescapée par une chance inouïe des bombardements de la ville du Havre parce qu’elle s’était cachée dans la cave du photographe pour lequel elle travaillait, son mari en captivité. Et surtout je lui montrerai cette photo, bien plus évocatrice que tous les mots…
Comment oublier cela ? Bien plus tard encore je lui raconterai mon travail d’étudiante de deux ans consacrés à l’écriture d’un mémoire en italien sur la littérature de Primo Levi auteur notamment de Si c’est un homme, célèbre rescapé des camps de concentration. Un travail qui m’a amenée quelques temps après à visiter avec des élèves le plus terrible endroit du monde : Auschwitz. Un cauchemar récurrent qui ne peut me faire oublier tous ces morts inutiles, tous ces massacres insensés…
Lutter chaque jour contre la peur, l’indifférence et l’oubli
Toutefois, malgré toutes mes connaissances sur le domaine, j’estime qu’il n’est pas forcément nécessaire de vouloir en dire trop ou de vouloir expliquer à tout prix. Si le devoir de mémoire est indispensable, il doit s’effectuer avec intelligence, parcimonie et psychologie pour qu’il soit efficace : on entend encore beaucoup d’enfants du baby boom nous dire qu’il y en avait trop, trop souvent…Pour autant a-t-on vraiment réussi à retracer ce chemin de notre histoire, il nous en reste encore tant à parcourir !
En revanche il n’est guère difficile d’observer qu’au début de chaque guerre se retrouvent les mêmes racines : la peur de l’autre, l’ignorance, l’orgueil et la volonté de conquête. Chaque conflit se nourrit de ces petites lâchetés, chaque dictateur s’élève de ces ignorances. Chaque soldat connaît-il les raisons profondes qui le pousse à tenir un fusil braqué sur un de ses semblables ?
N’est-il pas de notre devoir de parents d’apprendre à nos enfants à s’intéresser à leurs semblables, à ne pas avoir peur de se passionner pour d’autres cultures, d’autres religions, d’autres pays, d’autres amours ? Et puis surtout à être capable de faire leurs choix, de s’interroger, de se différencier, de critiquer, d’élever la voix, d’être solidaire à une cause, une nation !
J’ai tant de choses à t’apprendre ma fille mais je t’apprendrai avant toute chose à aimer.
Mélanie Sorbets, www.laplumeetlagomme.fr